Pellicules: des histoires de toutes les couleurs!
Pellicules : des histoires de toutes les couleurs !
L'invention du cinéma ? Une histoire de machines bien sûr, des caméras capables de décomposer le mouvement, des visionneuses et des projecteurs capables de le restituer, mais aussi une histoire de pellicules !
Dès 1878 les travaux d'Eastman sur les plaques sèches (on travaillait avec des plaques humides à préparer juste avant la photo) rendent le 'film' possible, ce qui est chose faite par le même en 1885. Les pellicules ont déjà une sensibilité suffisante pour prendre assez de photos par seconde pour décomposer le mouvement. Elles sont très sensibles au bleu, ce qui rend le regard de certains acteurs si clair.
Et surtout elles reproduisent le monde en noir et blanc. On s'y était habitué avec la photo mais la restitution du mouvement est un appel au réalisme, donc à la couleur. La fantaisie qui marque très vite le cinéma aussi : Dès 1897 Meliès colorie à la main " Le manoir du diable " et ses innombrables suiveurs colorent très tôt leurs bandes : le public apprécie et les versions colorées sont vendues 2 fois plus cher aux forains. Les coups de pinceau sont très imprécis, les couleurs bavent et le procédé est fastidieux.
Solution économique : teinter la pellicule avec un bain colorant dont la teinte s'harmonise avec l'ambiance (toute l'image est alors bleutée ou jaune ou verte etc., y compris les zones transparentes) ou en virant la pellicule (la couleur est dense dans les tons sombres et disparaît dans les blancs). Les possibilités expressives sont nettement plus limitées qu'avec la colorisation au pinceau, qui permet de multiplier les couleurs.
Pour industrialiser le procédé du pinceau, Pathé développe le système du pochoir en 1905. Basée sur une invention de Méry, l'idée est de suivre avec un pantographe les contours des zones à colorer : le pantographe guide un stylet qui découpe dans une autre pellicule les zones concernées qui forment ainsi un pochoir. Superposé au film, celui-ci permet de déposer la couleur précisément et rapidement sur les copies. Le Pathécolor utilisait jusqu'à 6 couleurs, déposées successivement à travers 6 caches.
Mais ce n'est que du coloriage. Depuis 1869 et Ducos du Hauron, on sait que la décomposition selon 3 couleurs fondamentales préconisée par Maxwell fonctionne : en photographiant un sujet à travers des filtres rouge, bleu et jaune et en superposant les positifs dans la couleur fondamentale qui les avait produits, on reproduit les couleurs.
En fait cela n'aurait pas dû marcher : la surface sensible utilisée par Ducos du Hauron n'était pas assez sensible au rouge et c'est la part UV du spectre qui a simulé le rouge dans son bouquet. Pour que le cinéma en couleur devienne possible, il faudra étendre la sensibilité au rouge. Les Lumière y parviennent partiellement pour leur " Autochrome " (1906, brevet de 1903), procédé additif qui juxtapose les 3 images primaires sur une seule surface grâce à des micros filtres -des grains de fécule- colorés. Ceux ci sont trop grossiers pour être utilisés au cinéma.
Le " Kinemacolor " du britannique George Albert Smith (1906) sépare les couleurs dans l'espace
et le temps : la caméra prend une image derrière un filtre vert et la suivante derrière un filtre rouge. Avantage : l'image n'est pas tramée. Inconvénient : les couleurs étant présentées successivement l'image clignote malgré la persistance rétinienne, et les images en mouvement ne se superposent pas, ce qui crée des franges colorées. Pour qu'elles soient insensibles, il faudrait augmenter considérablement la vitesse de prise de vue, déjà portée à 36 images par seconde dans le procédé bichrome original et 48 im/sec dans sa version trichrome.
Le Chronoscope de Gaumont (1912) prend simultanément 3 vues colorées sur la même pellicule grâce à 3 objectifs superposés : plus de scintillement mais les franges colorés dues à la parallaxe sont permanentes.
Les procédés Colcin (1913), Technicolor (1916), Cinechrome (1921), Bush Color (1926) et Raycol (1929) font appel au bichromisme mais sur 2 pellicules différentes et présentent les mêmes problèmes de parallaxe, dont Kalmus saura s'affranchir avec le Technicolor grâce à un prisme diviseur.
Le bichromisme ne permet pas une reproduction fidèle des couleurs mais il est plus simple que les procédés trichromes. Il sera utilisé pour les procédés additifs mais aussi pour les soustractifs :Technicolor 3 (USA 1926) et en 1930 les Ufacolor ( All), Gasparcolor (UK), Agfa color bipack (All), Kodachrome color (USA, testé par FOX Film Co)
La voie de la synthèse additive -que l'on retrouve sur les écrans TV- est explorée avec constance jusqu'au milieu du siècle : Dufaycolor (réseau de bandes colorées) Keller-Dorian (microlentilles sphériques), Berthon-Siemens (cannelures cylindriques), Agfacolor (réseau lenticulaire sur pellicule 16mm, 1932), Lumicolor ( réseau, 1936, film "L'exposition universelle de Paris" en 1937), Dugromacolor (1938, créé dans un garage qui allait devenir le laboratoire LTC), jusqu'au fameux Thomsoncolor à cannelures qui valu tant de déboires à Tati pour son " Jour de fête " en 1947.
Tous ces procédés reposent sur une émulsion noir et blanc associée à des filtres colorés difficiles à fabriquer et à adjoindre à la pellicule, onéreux ; les copies sont chères et demandent souvent des projecteurs ou des objectifs spéciaux .
Il existe une autre voie, qui consiste à colorer la pellicule elle même, utilisée dans les procédés soustractifs. L'enjeu : un système monopack uniquement chimique, sans réseau additionnel, utilisable avec les projecteurs standards.
Dès 1906 Benno Homolka s'aperçoit que certains révélateurs colorent l'image qu'ils révèlent , c'est la base du révélateur chromogène. Les colorants se forment par oxydation ou copulation avec d'autres composants chimiques. Une pellicule contenant 3 couches sensibles respectivement aux primaires pourrait reproduire les couleurs après développement/coloration des 3 couches.
Rudolf Fisher s'y essaie en 1912. La superposition et le filtrage ne sont pas simples. L'anglais H. Kuhn s'en était aperçu dès 1891 malgré son brevet d'un film à 3 couches. Cette difficulté permet aux procédés additifs de s'implanter un temps.
Aux USA, Kalmus a compris qu'au moins les copies doivent être soustractives. Son procédé par imbibition est une sorte d'offset en quadrichromie qui imprime les copies avec des encres très stables. Le procédé est dépourvu de granulation, ce qui n'est pas le cas des systèmes chromogènes ou le grain de la copie s'ajoute à celui du négatif. Pour la prise de vue, le technicolor utilise 2 puis 3 pellicules noir et blanc , chacune sensible à une couleur et impressionnées à partir d'un objectif unique et d'un diviseur optique. Avec le " procédé N°4 ", le Technicolor est parfaitement finalisé dès 1932. Une lame dorée entre 2 prismes laisse passer le vert, qui impressionne une pellicule, et réfléchit le reste sur le côté. Là une pellicule sensible au bleu est impressionnée. Elle est transparente, son dos comporte un filtre qui ne laisse passer que le rouge pour la 3eme pellicule, plaquée contre ce filtre. 28 caméras seront construites, qui tourneront jusqu'au milieu des années 50. Disney est le premier à comprendre l'intérêt du procédé et passe un accord d'exclusivité de 5 ans pour les films d'animation (Flowers and Trees, 1932). "Autant en emporte le vent" (1939, Victor Fleming), "Duel au soleil" (1947, King Vidor) vont assurer la popularité du procédé. La caméra tripack est abandonnée en 1955 (la firme sort une pellicule monopack dès 1941) mais Technicolor continue de tirer les copies par imbibition jusqu'en 1974 avec "Le Parrain II" de Francis Ford Coppola. Les installations sont vendues aux chinois de Beijing Film, Technicolor devient un laboratoire comme les autres
jusqu'à la restauration récente du procédé amélioré (meilleure précision de superposition des couches et de la piste son) pour des tirages de prestige où son absence de grain fait merveille. Le procédé avait d'ailleurs été retenu par pour le tirage des copies 35 de films 70mm à cause de cette qualité.
La lignée des pellicules couleur modernes commence en 1923 avec les 1ers brevets de deux chercheurs indépendants, Leopold Mannes et Leopold Godowsky Jr . Ils rejoignent plus tard l'équipe de Kenneth Mees chez Kodak , qui crée le premier procédé inversible, chromogène, multicouches en 1936, le Kodachrome. Deux versions : lumière du jour (10 ASA) ou artificielle (16 ASA). Le film sort en 16mm puis en 35 pour diapos et en 8mm : un marché surtout d'amateurs. Comme ses copulants ne sont pas intégrés, il réclame un traitement complexe avec trois bains de développement qui oblige l'utilisateur à renvoyer le film à Kodak.
Dans le même temps, grâce aux travaux de Fischer, Schneider, Eggert et Berger, Agfa lance l' Agfacolor, une inversible dont les coupleurs sont incorporés, ce qui permet un seul bain chromogène. Le procédé est lancé aux états unis via sa filiale Ansco. L'inversible se prête mal à la production cinématographique, particulièrement à cause des copies ; la 5265 Kodachrome Duplicating ne sort qu'en 1940.
La révolution de la couleur vient en 1939 avec la mise au point du Neue Agfacolor négatif/positif avec coupleurs intégrés, facile à traiter et à tirer. Cette réponse allemande au technicolor est un succès : du 31 octobre 1941 (début du tournage de " Frauen sind doch bessere Diplomaten) à 1945 13 films sont produits en couleur, soit plus que la proportion de technicolor à Hollywood. " Les aventures du baron de Münchausen " (J. von Baky, 1943) sont aussi acclamées que " Autant en emporte le vent "
Les autres puissance de l'Axe ne sont pas en reste : en 1940 la société japonaise Konishiroku sort un inversible dérivé du Kodachrome, le " Sakura Color ", dont la carrière est bloquée par la guerre. Idem en Italie où, à Milan, la société Ferrania travaille sur le Ferraniacolor qui ne sort qu'en 1947 ("Toto a colori", Steno, 1952).
Fuji sort son 1er Fujicolor en 1948. Les couleurs de cet inversible sont développées séparément avec une exposition d'inversion en lumière rouge pour la couche cyan et en lumière bleue pour la couche jaune. La couche magenta, difficile à exposer car intercalée entre les autres couches, est inversée chimiquement.
Le premier Ektachrome sort en 1946, c'est aussi un inversible. Kodak avait sorti son 1er négatif couleur en 1942.
En 1945, l'Agfa s'américanise avec l"Anscocolor" dont le public ignore l'origine allemande. Il sera entre autre utilisé par la MGM pour le Metrocolor jusqu'en 1965. Dans le même temps l'Union soviétique considère les brevets Agfa comme prise de guerre et développe le Sovcolor, mis en uvre dès 1946 (pellicules négatives Sovcolor DS-1 et LN-1/LN-2 , inversible couleur ZO-1 RC.
Le Gevacolor belge (1947) est aussi un dérivé de l'Agfacolor (" Violettes impériales ", Richard Pottier 1952, " Jeanne au bucher ", Rossellini, 1954).
Le "Fujicolor" sort en 1951 avec le film "Le retour de Carmen" de Kinoshita.
La mythique Eastman Color Negative 5247, sort en 1950, accompagnée de sa pellicule de tirage EASTMAN Color Print film 5381. Cette pellicule lumière du jour d'une sensibilité de 16 ASA est le premier négatif à coupleurs couleur intégrés de Kodak. Sa version améliorée 5248 la remplace en 1952. Elle reçoit un Oscar !
La décennie 1952/62 voit se développer les formats larges : Todd AO, CinemaScope 55, Ultrapanavision, Superpanavision70
Le technicolor y serait impraticable, c'est la victoire du négatif monopack. La sensibilité permet de travailler à un diaph moyen de f4,5 en studio, les basses lumières gardent des détails sans trop se colorer.
Dorénavant, l'un des grands enjeux sera la rapidité. La négative 5254 de 100 ASA sort en 1968
1967 : L'anscochrome affiche une sensibilité de 500 ASA ! Granuleux, pas très neutre mais intéressant. C'est une inversible comme l'Ektachrome 800/1600 ISO de 1982. Le grain est encore assez grossier.
1984 : Fuji sort une négative couleur 500 (tungstène), la 8514. Agfa-Gevaert (les firmes ont fusionné en 1964) réplique avec la XT350 en 1985 et Kodak l'année suivante avec la 7292 de 320 ASA , première pellicule à grains tabulaires. Les pellicules sont devenues très complexes et comportent plusieurs couches par couleur. Les grains tabulaires sont ici dans la couche magenta rapide et dans la couche lente bleue.
La séparation bleu/vert s'améliore. La course à la vitesse n'empêche pas Kodak de sortir en 1989 une pellicule à grain T extrêmement fin, la EXR 50D (5245, de 50 ASA en lumière du jour), à côté d'une 500 ASA 5296 EASTMAN EXR 500T (Tungstene)
500 ASA devient la sensibilité repère du savoir faire : Fujicolor 8560 en 1991, Kodak 5279 Vision 500T en 1996, les nouvelles Fujicolor Reala 500D (8592) et Kodak Vision T2 (5218) sont des 500 ASA. Compte tenu du faible grain et du rendu des teintes chair de cette dernière, on attend avec impatience que ses qualités soient déclinées dans les sensibilités plus faibles. Les pellicules continuent de progresser, d'une façon moins spectaculaire qu'il y a 20 ans mais sensible pour les utilisateurs. Fuji utilise une nouvelle structure de grain plate et hexagonale qui réduit sa taille des 2/3 sans perte de sensibilité, une quatrième couche sensible au cyan, qui améliore les verts et les pourpres et un masque optimisé pour améliorer le report vidéo. Sur le long terme, tout cela suffira-t-il face à la poussée du numérique ?
C'est après l'arrivée du CD que les platines tourne-disque ont atteint leur plus grande perfection technique : suspension magnétique, bras radial, lecture optique du sillon ; on sait ce qu'il en advint, malgré la musicalité de ces systèmes alors supérieure à celle des premiers CD
Mais peut être qu'un retour des grands formats redonnerait la main aux pellicules ! On peut rêver