« Paulo, un jeune pianiste, rencontre Ilir, un bassiste d’origine albanaise. Aussitôt, c’est le coup de foudre. Du jour au lendemain, Paulo quitte sa fiancée pour s’installer chez Ilir. Le jour où ils se promettent se s’aimer pour la vie, Ilir quitte la ville et ne revient plus. »
Ce premier long-métrage de David Lambert, une coproduction entre La Belgique et le Québec (semaine de la critique, Cannes 2012) s’attarde à l’univers férocement doux et amer du désir. En fait, on assiste ici, à une rencontre cruelle entre la volonté d’oser le désir auquel on ne peut échapper et la capacité voire les limites personnelles de chaque être humain d’être capable d’y faire face. Qu’on se le dise, le désir frappe sournoisement et se glisse sous la peau comme un tatouage fragile qui s’infiltre et se manifeste à chacune de nos respirations, quand le cœur tremble d’incertitude lorsque la cage thoracique se gonfle. Une mélodie constante à la croissance exponentielle qui n’a d’��gal que le plaisir obscur de lui permettre de se consumer. Voilà à quoi Ilir (Guillaume Gouix) et Paulo (Matila Malliarakis) se retrouvent confrontés au lendemain d’une rencontre fortuite dans un Pub.
La caméra de David Lambert exerce un frôlement sur la vie de ses personnages, d’une délicatesse qui contraste avec la violence de l’amour et du désir. Elle se faufile, glissante, discrète, comme ce sentiment exaltant ressenti lorsqu’on effleure doucement la peau du bout des doigts. Sublimement onirique, la sensibilité de la réalisation est d’un éclat subtil qui confère des qualités picturales à l’ensemble de l’œuvre. Par moments, on a l’impression agréable que cette lumière diffuse, propre aux tableaux des grands maîtres de la peinture flamande, s’anime et se matérialise dans une réalité actualisée. Le contraste est simplement étonnant. Mystérieux et déroutant à la fois. La musique du groupe Valleys contribue à projeter le film dans une cohérence presque envoûtante, tel cet éclairage ocre, des abats jours kitsch que l’on retrouve sur la scène lors du concert d’Illir. D’ailleurs, tout au long du film, la musique s’esquisse subtilement en personnage tout en servant de leitmotiv.
Il y a cette scène remarquable et d’une beauté désarmante, alors que, dans un cinéma, Paulo, interprète au piano la trame sonore de vieux films muets. Les regards qui se croisent et se recroisent… L’intensité du jeu, la montée dramatique de la scène citée, en noir et blanc, dans l’obscurité de la salle de cinéma. Il y a là, une mise en abîme subtile, dans un plan d’une grande efficacité. Tout le désir du monde se retrouve dans l’œil des deux personnages, où se reflète l’histoire lumineuse du cinéma des premiers temps. L’histoire dans l’histoire. Une fuite cinématographique, qui se répercute dans l’instant. La fuite et la poursuite sans cesse amalgamées. Une petite perle lumineuse. Intense.
Peut-on résister au désir ? Se mentir ? Résister au désir, est-ce se mentir à soi-même ? Illir tentera d’abord de résister au désir puissant qu’il ressent pour Paulo. La peur, toujours la peur, celle du changement mais avant tout celle de la perte de contrôle. Il succombera enfin, trop tôt ou trop tard. Lors de son incarcération, il tentera encore une fois de braver le désir, se mentir encore… La peur toujours. Paulo abdiquera rapidement à son désir, mais sera confronté à la peur de ses propres limites. Il faut noter que Paulo partage sa vie avec une femme, Anka (magnifique Mélissa Désormeaux Poulin) au moment où il va rencontrer Ilir. Par la suite il devra apprendre à vivre loin de celui qu’il aime. Jusqu’où ira-il sans se perdre lui-même ? À la fin de cette valse, nous assisterons possiblement au triomphe du mensonge dans tout ce qu’il peut comporter d’éphémère. Encore une fois, c’est le désir, sauvage et intense, bien greffé en eux qui finira par avoir le dernier mot. L’histoire ne dira jamais quand par contre… On y revient sans cesse.
Prétendre être capable de fuir les traces des désirs qui nous habitent est un des plus merveilleux mythe de l’histoire du monde. Hors les murs, raconte efficacement l’universelle histoire de l’impossibilité des histoires à exister en concordance avec le timing de nos vies. Je t’aime tu me fuis, je te fuis tu m’aimes. Et si je t’attendais, ce serait en vain ? Encore une fois c’est le traitement, en apparence très personnel du récit de Lambert qui ramène à l’universel. Nous sommes tous Paulo, nous sommes tous Ilir.
Hors les murs est un premier film très touchant, honnête et sans prétentions. David Lambert s’inscrit sur la liste des nouveaux réalisateurs à suivre au cours des prochaines années. Inutile de se mentir, succombons au désir ! Aux désirs ! Là où les désirs nous mènent, la vie s’y trouve toujours, et les regrets s’esquivent.
Marie-France Latreille
Tags: Cannes, David Lambert, Guillaume Gouix, Hors les murs, Matila Malliarakis, Mélissa Désormeaux Poulin, Semaine de la critique cannes 2012